J’ai eu l’honneur et le plaisir de rencontrer Jennifer et Cyriaque à seulement quelques jours d’intervalle. Est-ce pour cela que j’ai trouvé bien des affinités entre l’approche Reggio et l’école du troisième type ? Sans être identiques, issues d’époques et de cultures différentes, elles partagent pourtant de nombreux fondements. Je vous laisse écouter Cyriaque nous présenter son magnifique projet de classe, qu’il mène depuis plusieurs années dans l’école publique dont il est directeur.
Pour nous écouter, c’est par ici !
De quoi avons-nous parlé ?
Cyriaque a 39 ans et est enseignant depuis 2006. Aujourd’hui directeur d’une école rurale dans le Gers, il a eu l’opportunité de suivre le même groupe d’élèves depuis la Grande section de maternelle – ils sont aujourd’hui en CM2. Il a choisi de faire avec eux l’école du troisième type.
C’est Bernard Collot qui a développé la théorie des écoles du troisième type. Bernard Collot a travaillé pendant une trentaine d’années, jusqu’en 1996, au sein d’une classe unique (de la petite section jusqu’au CM2), ce qui lui a permis de progressivement créer son approche, pour développer l’autonomie nécessaire de ses élèves. Pour rompre l’isolement inhérent à son type de poste, il a très vite utilisé les nouveaux outils de communication pour se mettre en réseau avec des enseignants Freinet, des enseignants de classe unique, des petites structures.
Trois types d’écoles
École du premier type : le maître maîtrise l’emploi du temps, la progression, l’élève exécute. Les niveaux sont homogènes, les bureaux bien alignés : c’est la vision traditionnelle de l’école.
École du second type : l’enseignant fait appel à la motivation des élèves à travers des méthodes actives. L’enseignant est encore acteur de la classe. Le travail des enfants n’est pas encore organisé autour de projets. Ce système est assez lourd à gérer et à porter pour l’enseignant, qui finit parfois par se retourner vers l’école du premier type.
École du troisième type : le groupe d’élèves fonctionne à l’image d’un système vivant (on peut établir un parallèle avec la permaculture). Ce groupe va créer, mettre en place des activités qui vont déclencher des processus, les apprentissages se font à l’intérieur du groupe. Ce sont les enfants qui mettent en place les projets, en fonction de leurs besoins et leurs motivations. Ils doivent avoir assez d’autonomie pour agir. Le groupe d’enfant est à l’image d’une société, et les enfants n’y sont pas passifs.
« Apprendre est une conséquence du faire, du pouvoir faire, de l’envie et du besoin de faire. On n’apprend pas avant de vivre, on apprend en vivant. » Bernard Collot, Chronique d’une école du troisième type
Ecole du troisième type, Montessori et Freinet
Montessori propose des outils normés, avec une façon particulière de les utiliser. Ce n’est pas le cas en 3èmetype, où on travaille avec ce que les enfants amènent. Mais on peut ajouter certains de ces outils dans l’environnement 3èmetype. L’aménagement de l’espace, l’environnement, sont des thèmes Montessoriens essentiels que l’on retrouve en 3èmetype.
Bernard Collot a développé l’approche à partir de Freinet, qui est une approche du 2ndtype, avec des attendus de programme (ce qui n’est théoriquement pas le cas dans le 3èmetype). Les outils Freinet existent dans la classe : texte libre, fichiers auto-correctifs (pris de Freinet).
Parallèle approche Reggio / école du 3èmetype
Le maître adopte une posture d’enseignant chercheur, qui travaille aux côtés de ses élèves pour les accompagner dans leurs projets. Il aide l’enfant à mettre en place les connexions entre ses activités, soutient l’organisation, porte les projets de chacun, enrichit l’environnement pour que l’activité de la classe tourne sans qu’il en soit au centre. L’apprentissage des enfants tourne autour des projets des élèves, qu’ils ont développé eux-mêmes.
Les enseignants parlent de langages, pas de compétences. Le langage est un outil qui permet de traiter l’information, la transformer, puis la communiquer. Langage oral, écrit, mathématique, scientifique, physique : plus on utilise les langages, plus les ramifications neuronales se densifient. Il faut donc les utiliser beaucoup. Les langages écrit, oral, peuvent s’acquérir de la même façon que la marche, rien qu’en s’exerçant, en se basant sur la motivation et le plaisir intrinsèque.
L’école est un lieu de vie, un système vivant appartenant et participant à la société. Les parents sont intégrés et ont la possibilité d’intervenir. Les membres de l’école (incluant évidemment les enfants !) sont acteurs du territoire.
Les enfants travaillent autour de projets personnels qu’ils développent eux-mêmes. Ce projet ne naît pas des consignes de l’enseignant : les enfants font d’eux-mêmes les choses qui les intéressent. L’enseignant n’a aucune attente, essaie de lâcher prise, et ce n’est pas facile !
Ainsi cette année trois élèves ont décidé d’écrire une pièce de théâtre. Cyriaque a fait venir un professionnel, pour revoir les structures du théâtre, permettre la réécriture. Ils ont choisi d’écrire cette pièce sur l’Inde, sujet qui les intéressait, ce qui a généré beaucoup de recherches sur le sujet. Les enfants sont si passionnés qu’ils ne vont même plus en récréation ! A la suite de cette idée, les enfants ont mis en place des petits déjeuners du monde.
A quoi ressemble une journée dans la classe ?
Cyriaque a choisi un fonctionnement par semaine. Durant les semaines paires, la classe s’organise en 2ndtype, avec des fichiers auto-correctifs, qui suivent le programme. Durant les semaines impaires il adopte un fonctionnement 3èmetype, informel. Il s’agit en effet de l’école publique, il y a des attentes de programme… Aujourd’hui, Cyriaque accompagne des CM2 qu’il doit préparer à la rentrée en 6ème.
Les enseignants du 3èmetype sont organisés en réseau, ils expérimentent beaucoup. On respecte le rythme de l’enfant. Les élèves ne sont pas stigmatisés, ils ont confiance en eux, ils ne sont pas constamment confrontés aux attentes des compétences à acquérir dans un certain ordre, à un certain âge. J’ai fait un parallèle avec l’ouvrage « L’éducation à la joie » d’Antoniella Verdiani : la joie arrive par la suite, il n’a pas cherché à la créer. La vie devient plus joyeuse, plus apaisée, dès qu’on met en place ce type d’organisation dans la classe / école.
Les parents n’ont pas toujours été enthousiastes, car ils n’arrivaient pas à se retrouver dans la progression et dans l’organisation de la classe. Aujourd’hui, ça va beaucoup mieux.
En mettant en place ce type d’organisation, on déstabilise un système, celui de la classe et celui qui l’entoure. Il faut avancer progressivement dans sa mise en place et commencer par travailler dans des zones qui nous sécurisent ; la confiance vient aussi de l’extérieur, quand les parents, les collègues s’aperçoivent que les enfants progressent et qu’ils sont contents de venir en classe. Cela permet d’apprendre à lâcher prise.
Est-il possible de mettre en place ce type d’organisation sans le soutien de son équipe ou de sa hiérarchie ?
Il existe un réseau pour aider les gens qui mettent en place. Il faut être épaulé, mais pas forcément par son entourage direct ! L’école du 3eme type s’est construite à travers les échanges des enseignants chercheurs, et ça continue ! Il existe des listes de diffusion, des échanges de mails, entre élèves, enseignants, et non enseignants. Ces échanges soutiennent et nourrissent la pratique. Les acteurs de l’école du 3èmetype se rencontrent chaque année une semaine dans l’Ain, cette année du 8 au 12 juillet 2019. C’est un stage auto-géré auquel tout le monde peut participer.
Ressources
Arbustes.net (site du réseau des acteurs de l’école du troisième type)
L’école du 3èmetype ou la pédagogie de la mouche, Bernard Collot (livre)
Philippe Ruelen (site Internet)
Si cet épisode vous a plu, n’hésitez pas à nous donner plein d’étoiles sur iTunes et à nous laisser des mots d’amour ici ou sur les réseaux sociaux! A bientôt pour un prochain épisode, dans lequel nous laisserons un instant les bancs de l’école publique pour nous envoler vers d’autres horizons éducatifs…
Le langage est ce qui permet d’acquérir des compétences telles qu’elles sont définies actuellement.
C’est un eensemble de connexion neuronales.
L’école du 1er et du 2ème type s’intéressent à développer des compétences.
Même si le fait de chercher à développer des compétences enrichit ces connexions – c’est-à-dire construit un ou des langages – c’est bien moins efficace que ce que peut engendrer toutes les interactions dans un système vivant. C’est pour cette raison que l’école du 3ème type s’intéresse avant tout à mettre en place un système le plus vivant possible.
Merci Monsieur Ruelen pour votre visite et ces précisions, c’est un grand honneur de vous accueillir ici!
La notion de système vivant, bien que nommée différemment, est aussi fondamentale dans l’approche Reggio. Il me semble vraiment que cette approche partage de nombreuses bases communes avec l’école du troisième type. Qu’en pensez-vous?
Je ne connais pas l’approche Reggio. Je vais de ce pas évoquer ce nom sur notre liste de recherche qui, au passage, est ouverte à tous.
C’est ici : http://ruelen.fr/cisev/inscription.php